La description linguistique des langues créoles : la problématique du créole de La Réunion et de Bourbon
Résumé
La description linguistique d'un créole est un véritable pensum pour celui qui l'entreprend. Les pièces de ce puzzle que l'on appelle"système général d'une langue donnée" ne se rassemblent en un tout cohérent seulement au prix de longues observations et, parfois même, après un détour par d'autres langues. C'est le rôle libérateur joué par l'allemand dans mon itinéraire. En choisissant d'écrire un mémoire de Maîtrise sur la "Mise en valeur et contexte en allemand parlé" j'avais essayé de traquer le lien entre fonctions syntaxiques et prosodiques dans les phénomènes de mise en valeur affectant certaines unités de la phrase appelées modalisateurs. L'allemand qui présente un système linguistique soutenu par des régularités morphologiques permet au descripteur de poser le mot et la phrase comme des unités grammaticales en laissant au lexème le soin de structurer la dynamique lexicale. Ce type de système ne se prêtait pas à une investigation prosodique de la même manière que la tradition orale d'un créole comme le réunionnais par exemple où la prosodie ne laisse pas la syntaxe seule marquer les distinctions. Je l'ai compris quelques années plus tard en décrivant un premier corpus en syntaxe et phonologie du créole réunionnais à Paris.Dans les pratiques innovantes des années soixante-dix, l'intérêt pour la prosodie et le texte le disputait à la fascination pour la parole sous toutes ses formes. Ce désir d'investigation eut pour conséquence de libérer les langues — devenues instruments de communication et d'expression — de la gangue dans laquelle les avait enveloppées jusqu'alors l'apprentissage exclusif par la traduction et la fameuseentrée en matière "Qu'est-ce que c'est ? Was ist das ? C'est un stylo. Das ist ein Bleistift". Les langues pouvaient se concevoir sans copule et sans sujet, assumer leur tradition orale et s'enseigner comme langues vivantes étrangères. Les phonéticiens de l'université d'Aix-en-Provence, montraient à chaque étudiant “ sa bibabiale ”. A l'université de Heidelberg, les phonologues proposaient aux plus avancés de lire dans un microphone une fable écrite sans ponctuation. L'université de Strasbourg voyait s'ouvrir les premières pages de l'Atlas linguistique de l'Alsacien qui aiderait les médecins francophones arrivant dans la région à mieux comprendre leurs patients. Les études menées en germanistique française, par conséquent le contact avec d'autres langues vivantes, ont certainement suscité chezl'enseignante du secondaire l'envie d'en savoir un peu plus sur les créoles. Cette idée fixe devint réalité lorsqu'elle entendit André Martinet situer son propre système phonologique par rapport à celui de sa mère dont le parler natal avait servi d'illustration à la description phonologique du parler franco-provençal d'Hauteville. Il est vrai que Denise François n'en était pas moins impressionnante avec son corpus de français parlé recueilli à Argenteuil parmi les membres de sa famille et ses amis. Fernand Bentolila parlait aussi bien du berbère que du latin. Christos Clairis avait pour repère le grec. Henriette Walter avait enseigné l'anglais. Dans la formation universitaire de Paris V, la description linguistique des langues commençait avec la phonologie. Nous avions pour référence la Description du parler d'Hauteville et les Principes de Troubetzkoy qu'il s'agissait pour moi enseignante germaniste du secondaire et linguiste en herbe d'appliquer au terrain créolophone réunionnais. Le geste décisif fut accompli avec l'enregistrement d'un premier corpus de créole réunionnais, celui de mon voisin de palier en quelque sorte, locuteur créolophone originaire du Port et arrivant à Paris en 1980 pour y travailler dans les Postes. Le créole réunionnais devenait ainsi terrain d'enquête.
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