Famille, je vous hai…me. Penser « l'envers obscur de la modernité »
Résumé
Mayotte. Tahiti. Two islands whose names evoke very different realities and representations. While the latter is associated with the cliché of New Cythera, the former (as recent events confirm) conveys a decidedly contrasting image.
Yet, beyond the postcard or the headlines, the two territories share similarities. Confronted with devastating historical shocks, Mayotte and Tahiti find themselves, in the twenty-first century, living with fractures—memorial, identity, historical, and social—whose multidimensionality is not always captured by sociological studies.
The intertwined paths of Moïse (Tropique de la violence, 2016) and the narrator of Mutismes (2003) reveal lives, families, and hopes shattered against a merciless reality. Both novels are steeped in a climate of dereliction that seems to leave no room for hope. Individuals struggle to resist various pressures (social, political, familial) that constrain them into imposed social roles. As a result, their fragmentation becomes inevitable: the small unit that Marie and Moïse have formed to escape the uncertainties of their tragic personal histories and respective destinies (Tropique de la violence), and the family portrayed in Mutismes, where the inability to communicate drives its members down opposing and irreconcilable paths.
However, the discourse of the two authors raises questions: while a deadly nihilism seems to emanate from Nathacha Appanah’s novel, Titaua Peu’s work is built on a subtle strategy that hints at a possible recomposition. The Tahitian writer's political independence engagement helps to understand the forms this recomposition could take. As for the polyphonic writing of Nathacha Appanah, whose complexity reflects the chaotic existence of her characters, it materializes in the text the impossible unity that Marie aspired to from the very first pages of the novel.
Mayotte. Tahiti. Deux îles dont les noms évoquent des réalités et des représentations bien différentes. Si à la seconde reste attaché le cliché de Nouvelle-Cythère, la première (et l’actualité récente le confirme) véhicule une image pour le moins contrastée.
Pourtant, au-delà de la carte postale ou de la rubrique des faits divers, les deux territoires présentent des similitudes. Confrontés à des chocs historiques dévastateurs, Mayotte et Tahiti se retrouvent, au XXIe siècle, à vivre avec des fractures mémorielles, identitaires, historiques, sociales, dont les travaux sociologiques ne donnent pas toujours la mesure multidimensionnelle.
Les itinéraires croisés de Moïse chez Nathacha Appanah (Tropique de la violence, 2016) et de la narratrice de Mutismes de Titaua Peu (2003) révèlent des vies, des familles, des espérances, fracassées contre une réalité impitoyable. Les deux romans baignent dans un climat de déréliction qui ne semble laisser subsister aucun espoir. Les individus ont peine à résister aux pressions diverses (sociales, politiques, familiales) qui les contraignent dans des rôles sociaux imposés. Dès lors, l’éclatement est inéluctable : la cellule restreinte que Marie et Moïse ont constituée pour échapper aux aléas d’histoires personnelles tragiques et à leurs destinées respectives (Tropique de la violence) ; la famille mise en scène dans Mutismes, où l’impossibilité de se dire conduit les membres à emprunter des chemins opposés et irréconciliables.
Néanmoins, la question se pose du discours porté par les deux auteures : si un nihilisme mortifère semble émaner du roman de Nathacha Appanah, celui de Titaua Peu est bâti sur une stratégie subtile laissant entrevoir une recomposition possible. Et l’engagement politique indépendantiste de l’écrivaine tahitienne permet de comprendre les formes que pourrait prendre cette recomposition. Quant à l’écriture polyphonique de Nathacha Appanah, dont la complexité renvoie à l’existence chaotique de ses personnages, elle matérialise dans le texte l’impossible unité à laquelle aspirait Marie dès les premières pages du roman.
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