Radiographie d’un lexique quadrilingue pour l’école à Mayotte
Abstract
Les enfants de Mayotte ne subissent pas seulement la crise sécuritaire ou celle liée aux manques de ressources (eau, infrastructures, essence, nourriture…). L’île est le département où la situation éducative est la pire de France et où la jeunesse évolue dans une société « fragmentée et désorganisée » (Roinsard, 2024). Les politiques linguistiques, rythmées par les mandants de différents recteurs, s’échinent depuis une trentaine d’années à répondre à l’enjeu de la « maîtrise » du français, langue de l’école.
Globalement exclusives malgré des sursauts récents positifs (Convention pour la formation, l’enseignement et l’apprentissage des langues régionales et Loi Molac, 2021), ces politiques freinent l’entrée des langues des élèves à l’école et les mettent donc à la marge. Pour autant, la vitalité des langues vernaculaires et de la migration fait que l’école est largement perméable à leur usage malgré une idéologie dépréciative considérant les langues des élèves comme vecteur de l’échec scolaire. Le manque de ressources est un levier pour justifier l’impossibilité d’un enseignement formel ou inclusif des langues. Des contributions émanant d’acteurs variés comblent une petite partie des besoins, telles que le dictionnaire « mahorais / français » élaboré par l’anthropologue Blanchy en 1996 ou celui pour le kibushi et français contenant 4 600 entrées et façonné par Jamet, un amoureux des langues, en 2016. Au-delà des ouvrages de référence, ce sont les outils contextualisés pour les apprentissages scolaires qui font défaut (Salone et Dureysseix, 2022).
Dans cette communication, nous faisons un focus sur une ressource pédagogique confectionnée par une équipe du Rectorat et de l’Université de Mayotte entre 2019 et 2022 (Dureysseix et al.) : un lexique quadrilingue. Destiné aux enseignants en formation et in fine aux élèves des écoles maternelle et primaire, il contient 21 sections thématiques et plus de 1 500 entrées lexicales. Une de ses spécificités est qu’en plus du français et du shimaore, il se décline dans les deux variétés de kibushi que compte l’île : le kiantalautsi et le kisakalava. Cette ressource plurilingue, testée en formation et contextualisée à un territoire d’Outre-mer, n’a toujours pas réussi à être éditée.
Une simple ressource lexicale peut-elle permettre de faire reculer les marges éducatives en incluant les langues et cultures des enseignants et des élèves et en suscitant les apprentissages ? Nous postulons d’une part que ce lexique peut permettre d’illustrer les distances culturelles, lexicales mais aussi syntaxiques entre français, shimaore et kibushis et générer à cette occasion des approches contextualisés de l’enseignement du français en contexte plurilingue. D’autre part, ce lexique parait permettre de développer des compétences pédagogiques et des gestes professionnels des enseignants via une approche formative dédiée.
Le corpus est constitué du lexique en lui-même mais aussi des résultats d’expérimentations menées en formation (productions écrites de groupes de professeurs des écoles stagiaires). Pour l’analyse, nous faisons appel au champ de la didactique des langues-cultures en contact et en circulation (Moore, 2006 ; Legendre, 2013) et la didactique du lexique (Calaque et David, 2004 ; Baron et al., 2019). Les différences lexicales et de typologies syntaxiques permettent aisément la comparaison des langues qui est vectrice d’une conscience métalinguistique utile dans la formation des futurs enseignants. Cette conscience permet de mieux faire appréhender les obstacles et difficultés dans l’acquisition de français langue seconde ou étrangère. La relation entre lexique et culture est aussi mise à profit comme moyen de valoriser les langues et cultures des élèves et pour mettre en exergue des catégorisations et des visions du monde propres à chacune des langues en contact et montrer les limites de la traduction.
Cette communication se propose donc d’être telle une radiographie diagnostique, historicisée et contextualisée (Chiss, 2020) de ce lexique – et plus largement de ce contexte éducatif.