Du risque de la mort pendant le parcours migratoire à la reconstruction d’une identité post mortem pour les personnes décédées et leurs communautés d’appartenance
Résumé
Le texte interroge les liens entre la mort en exil, potentielle, probable ou advenue, et les modalités d’une reconstruction identitaire aux niveaux individuel et collectif, à travers la perspective de périr en tant que réalité psychique et sociale présente tout au long de l’expérience migratoire, comme une donnée immanente, inhérente aux périls du périple, mais aussi transcendante, reliée à une intentionnalité politique de dissuasion qui peut prendre des allures de destinée pour les personnes concernées. En prenant appui sur des consultations thérapeutiques menées en centre d’hébergement d’urgence, l’article s’intéresse aux différentes modalités de faire face à la terreur de la perspective d’une mort probable chez les personnes en situation d’exil qui fuient la guerre, la torture, les persécutions génocidaires, aux mécanismes de défense face aux violences subies, à la réception et à l’élaboration de la mort en tant que réalité crainte et advenue, chez le sujet, sa communauté et la société civile dans son ensemble. L’enterrement en terre d’exil selon des rites qui marquent l’ancrage culturel d’origine des défunts permet d’explorer une des modalités possibles de réappropriation d’une identité post mortem tant pour les personnes décédées que pour leurs communautés d’appartenance et de référence. L’exemple des Algériens de Nouvelle Calédonie illustre la construction d’une identité interculturelle à partir de la création d’un cimetière musulman à la fin du XIX e siècle servant à une inscription identitaire en terre d’exil par le biais de cette inscription des corps-morts en migration. Enfin exister à travers la médiatisation de sa mort à défaut d’avoir été reconnu de son vivant dans son humanité en souffrance est le propre des personnes mortes pendant un parcours migratoire marqué par des violences systémiques. L’inscription des pratiques funéraires dans un ordre culturel propre à sa culture d’origine peut être à la fois un apprivoisement de la terre d’exil qui devient de la sorte une terre d’accueil et une réhabilitation de sa capacité d’autodétermination, constitutive de sa reconnaissance de sujet.