Je voudrais évoquer ici deux brèves résurgences, et bien actuelles, des Pensées de Marc Aurèle qui concernent, toutes deux, une filiation primordiale bien que la première seule concerne directement le lien d'homme à homme, par échange et transmission entre amis, familiers et parents, l'autre renvoyant à une co-appartenance plus fondamentale, celle qui lie l'homme dans et par son langage même au fond de la Nature et à son cours. La postérité de ces multiples exhortations que s'adressait à lui-même, et pour lui-même d'abord, l'empereur-philosophe, intitulées Pensées pour moi-même, Méditations ou Soliloques, a, de fait, été extraordinaire et celui que l'on considère comme le dernier des grands stoïciens a marqué par son style plus que par l'originalité de sa doctrine, qui est à peu près celle d'Épictète. La façon très humaine et tout à fait humble qu'il a de s'entretenir avec lui-même a rendu accessible à des dizaines de générations ultérieures la vivacité intérieure de cette pensée qui était surtout une manière de vivre et un constant exercice spirituel car « Marc Aurèle s'efforçait [ainsi] de réveiller en lui les dogmes stoïciens qui devaient gouverner sa vie, mais qui perdaient de leur force persuasive » au décours du quotidien et « il fallait donc sans cesse essayer de nouveau de se persuader » comme l'explique bien Pierre Hadot : « Son but est d'avoir sous la main, de manière efficace, les dogmes stoïciens, et notamment les trois préceptes d'Épictète : ne rien admettre dans l'esprit qui ne soit objectif [maxime du jugement], donner toujours comme fin à ses actions le bien de la communauté humaine [maxime de l'action], conformer ses désirs à l'ordre rationnel de l'univers [maxime du désir] » .