L’ailleurs et l’exotisme dans l’œuvre de Parny : contours, empreintes et traces
Résumé
Malgré l’horizon d’attente que la rime facile érotisme-exotisme appelle naturellement, il y a de prime abord peu d’exotisme chez Parny, et dans les Poésies érotiques plutôt moins qu’ailleurs au sein de l’œuvre. Aussi cette étude ne s’en tiendra-t-elle pas à ce recueil inaugural, publié dès 1778 pour la première version en trois livres . On a donc choisi, pour mieux la contextualiser, d’élargir la perspective à l’ensemble des écrits de Parny antérieurs à la Révolution, et de ne pas s’enfermer dans une acceptation « étroite » de la notion d’exotisme, qu’on s’est volontairement abstenu de définir ; rappelons cependant qu’elle suppose distance spatiale et dualité culturelle, car il n’y a pas d’exotisme sans une confrontation de l’Ici et de l’Ailleurs d’où naît le constat d’une différence .
A cet égard, le cas d’Evariste Parny est étrange. Voici un poète créole qui est né dans l’océan Indien, à l’île Bourbon (actuellement île de La Réunion) et y a passé toute son enfance, comme son ami et rival Antoine de Bertin (1752-1790), qui y est revenu deux fois pour de longs séjours, y a conservé l’essentiel de sa famille, y a vécu (semble-t-il) l’intrigue amoureuse évoquée dans les Poésies érotiques, partiellement au moins écrites sur place, sans qu’il en apparaisse grand chose à la lecture, ce qui peut étonner.
Le silence de l’auteur concernant les données factuelles d’ordre géographique, historique et biographique permet-il de les disqualifier comme non pertinentes pour la compréhension de l’œuvre ? On posera pour hypothèse que celle-ci est au contraire fortement déterminée par ces éléments de contexte dont on ne peut faire l’économie, par exemple dans un texte comme les Chansons madécasses (1787). Assumée ou refusée, l’identité créole, en créant un rapport de double appartenance face au monde de l’île et à la métropole, peut contribuer à expliquer en effet la méfiance de Parny envers le voyage et l’Ailleurs, voire ce qu’on pourrait appeler son « anti-exotisme », particulièrement évident dans les épîtres en vers ou dans le Voyage à l’île Bourbon (1778). Dans les Poésies érotiques, en apparence si éloignées de cette thématique, n’est-ce pas la fiction d’une « autre île » rêvée, superposée ou substituée à l’île réelle, qui, à l’image du vêtement abandonné conservant la trace d’un corps absent, projette malgré tout une sorte d’exotisme « en creux » ? La résonance particulière de cette poésie par ailleurs si démodée ne doit-elle pas quelque chose à cet « exotisme fantôme » à peine décelable ?
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