Louise Michel, l’institutrice qui s’inscrit dans les marges. Enseigner en situation de crise, de la Commune de Paris (1871) à la déportation en Nouvelle Calédonie
Abstract
Que ce soit en marge du système éducatif du Second-Empire (où elle ouvre une école libre, pour ne pas avoir à prêter serment) ou en Nouvelle-Calédonie (où elle continuera son travail d’institutrice aussi bien auprès des enfants de déportés que des enfants kanaks), en passant par la Commune de Paris, Louise Michel a enseigné dans des situations de crise, prenant toujours en compte l’enfant dans sa globalité, avec la conviction que le chemin des écoliers pouvait être une voie d’émancipation pour toutes et tous, quels que soient l’origine sociale, le genre, la couleur de la peau, ou la langue.
Dès le début de sa carrière, elle propose un enseignement républicain, basé sur l’expérimentation et le développement de la créativité des enfants par l’éducation artistique (musique et arts plastiques). Plus tard, le blanquiste Édouard Vaillant, nommé le 20 avril 1871 délégué de la Commune à l’enseignement, envisagea de mettre en place un enseignement laïc, dit « intégral », « offrant aux enfants une double formation, intellectuelle et manuelle. [Les communards] durent se contenter [par manque de temps et de moyens] d’ouvrir le 12 mai une « école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles, rue Dupuytren, où l’on devait enseigner le dessin, le modelage, la sculpture sur bois, assortis de rudiments de culture générale. » . C’est dans ce contexte que Louise Michel participa aux innovations pédagogiques d’une société qui cherchait à se réinventer. Déportée, ensuite, à Nouméa, elle a montré, avant même la mise en place d’un réseau d’écoles publiques pour indigènes, en 1885, toute l’importance qu’elle prêtait au substrat culturel des enfants kanaks qui lui étaient confiés, par l’attention qu’elle portait à la civilisation et aux contes kanaks : après avoir appris la langue, elle en a publié des traductions sous le titre Légendes et chansons de gestes canaques en 1875, puis Légendes et chants de gestes canaques, avec dessins et vocabulaires, en 1885. Cela constitue une véritable expérience d’enseignement en contexte allophone, dont elle a pleinement conscience.
Elle reviendra avec lucidité, dans ses œuvres autobiographiques, La Commune, Histoire et souvenirs, ses Mémoires, ou sa correspondance, sur ces expériences pédagogiques hors-norme, constituant ainsi un document exceptionnel, conscient et critique, sur l’histoire de l’enseignement, notamment dans les outre-mers, à la fin du XIXème siècle, avec le projet d’instituer les citoyens à venir. Dans cette perspective, on peut traquer, dans les marges de son œuvre autobiographique, les éléments qui en font un « proto mémoire professionnel », où elle expose son projet pédagogique, en en explicitant les soubassements idéologiques, mais aussi sa mise en œuvre, tout en portant un regard critique sur ses résultats. Si bien que le rôle de Louise Michel fut peut-être aussi important en matière d’enseignement qu’en matière politique : on peut déjà y déceler certaines des innovations pédagogiques qui marqueront le siècle suivant.
Cette communication se propose de repérer, dans les œuvres autobiographiques de Louise Michel, les éléments qui constituent autant de compte-rendus d’expériences pédagogiques, pour en saisir les partis-pris idéologiques et didactiques, l’originalité, et éventuellement les limites. Il s’agira également de mettre cette expérience en perspective avec les différents contextes auxquels elle a été confrontée, sous le Second Empire, la Commune de Paris, ou en Nouvelle-Calédonie, où les Kanaks étaient alors « repoussés aux marges géographiques, économiques, et politiques de leur propre pays » (Salaün, 2005). On se référera à certains travaux récents portant sur « l’adaptation » de l’enseignement de métropole aux « marges coloniales » (Fageol, Labrune-Badiane, 2023).