, Les productions spirituelles les plus généreuses ne sont que l'habile habillage de motivations intéressées, le plus souvent inconscientes. Les sciences les mieux établies ne sont que des paravents idéologiques destinés à dissimuler la violence et à légitimer l'exercice du pouvoir. Le rapprochement entre ces trois philosophes est cependant discutable. Contrairement à Freud ou Marx qui proposent, dans la métapsychologie pour le premier et dans l'analyse économique pour le second, de possibles retours à une science vérace, le radicalisme de Nietzsche le place dans une position délicate. Pour lui en effet, il n'y a aucune vérité derrière le jeu chatoyant des illusions intellectuelles. La croyance en la valeur de vérité d'une idée est une croyance chimérique, déterminée par l'histoire, sans dimension universelle possible. Tout ce qui se présente comme vérité n'est que le reflet d'un équilibre social provisoire dans lequel il ne faut voir que l'expression de rapports de forces instables. Mais alors qu'en est-il de la valeur de vérité de la théorie morale de Nietzsche lui-même ? En fonction de quel privilège intellectuel s'autorise-t-il ce qu'il interdit aux autres ? En quoi sa théorie du surhomme est-elle privilégiée ? Si toute vérité théorique n'est que travestissement destiné à cacher les véritables intentions de son auteur, quelle est l'intention de Nietzsche ? Il y a là une difficulté qui touche tous ceux qui dénoncent les illusions de la conscience raisonneuse à l'aide d'arguments réfléchis et qui, de plus, s'empressent de constituer des systèmes de pensée destinés à convaincre de la vérité de leur théorie, tout discours comme trompeur et tenir soi-même un discours qui vise la vérité. Non sans souci de cohérence intellectuelle, l'auteur lui reproche d'argumenter avec beaucoup de véhémence pour quelqu'un dont l'intention première est seulement d'affirmer sa propre puissance « sans avoir à se justifier ». Il y a là, sinon une contradiction, du moins une ambiguïté : peut-on critiquer la raison, dénoncer la fausse valeur du savoir critique, récuser la logique apollinienne et rédiger tant de pages pour démontrer que l'on a raison ? La position de Nietzsche est d'autant plus délicate qu'il se jette lui-même dans la gueule du loup du relativisme

, Les principaux ouvrages cités se trouvent aussi en livre de poche, La traduction française des OEuvres complètes de NIETZSCHE (1967-1988) est disponible chez Gallimard (Paris)

;. Baroni-christophe, N. Éducateur, . Paris, /. Buchet, . Chastel et al., « La béatitude chez Nietzsche », in Cahiers de Royaumont, Philosophie n°VI, Paris, éd. de Minuit, Collectif : Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens DELEUZE Gilles, pp.14-44, 1961.