G. Dans-sa,

, Si elle impose des devoirs et des interdits, rassemblés en un code spécifique, elle laisse de côté les principes et les fins qui sont les conditions mêmes d'une réflexion éthique véritable. Elle prescrit, commande ou défend, permet de condamner et de sanctionner en détail. Certes, son détour est pratique pour régler les conflits dans l'urgence. Mais cela ne peut se faire que dans un cadre spécial qui risque d'entrer, à un moment ou l'autre, en contradiction avec les normes universelles de l'éthique ou du droit. De plus, il est inévitable qu'au sein d'un même code déontologique, certaines contradictions se fassent jour au point d'en paralyser l'usage. On a vu que les conflits de devoir se traduisent par des injonctions paradoxales fréquentes dans la pratique déontologique. Il revient alors au droit commun de trancher. On ne fait pas si aisément l'économie d'un débat sur les fondements de la morale et les fins de l'éthique. Quand bien même on ne définirait pas toujours un code déontologique afin d'éviter l'exigence d'universalité éthique, il reste qu'un tel code, coupé des principes qui le fonde, est comme un catéchisme qui invite surtout à ne pas réfléchir. L'expansion moderne des déontologies dans le monde du travail peut être prise pour un signe d'autonomisation de la société civile par rapport à la morale et même au droit dans ce qu'il conserve encore d'universalisable. Entre le droit du travail classique et ce qu'on appelait il n'y a pas si longtemps « la morale professionnelle » 30 se glisse une disciplina bâtarde qui coupe la réflexion de l'exigence d'universalité. À chaque métier, certaines exigences spécifiques certes ! Faut-il en conclure qu'à chaque exigence correspond une moralité propre comme nous le répète le déontologue ? Un exemple pour conclure. Il n'existe pas de code de déontologie qui ne fasse appel à la « loyauté » (loyauté envers l'entreprise, envers la société, envers l'administration, envers les maîtres, les parents, les investisseurs, les actionnaires, Rattachée à la morale et à l'éthique dans la mesure où elle n'existe qu'à travers ces deux dernières, la déontologie leur reste donc subordonnée. Il lui arrive pourtant de s'en éloigner très souvent. Comme l'écrit justement Jean Lombard, « à travers les conditions dans lesquelles elle se décline à partir du bien et du mal, on voit qu'elle finit par devenir autre chose qu'une morale et qu'elle finit à bonne distance du royaume des normes, vol.29, p.397

, On consultera à titre historique l'intéressante Morale professionnelle de l'instituteur d'André Ferré, 1947.

J. Lombard, É. Antiquité, L. Paris, and . 'harmattan, , p.14, 2009.

A. Ferré, On ne saurait faire l'économie de l'universel. Quant à l'exigence éthique de liberté, elle est perdue dès la prescription du code professionnel et son acceptation par celui qui s'y soumet. Là où l'éthique impose l'usage critique et réflexif de la raison, la déontologie en restreint la portée. Lorsque le devoir d'obéissance est la règle, lorsqu'il n'est plus question de pouvoir le remettre en cause au sein du groupe professionnel sans menacer le groupe lui-même, on est en droit de se demander si on n'est pas déjà sorti du champ de la morale pour entrer dans celui des moeurs claniques. Lorsqu'il est interdit de discuter publiquement de la pertinence des règles, on a quitté le champ de l'éthique pour celui du caporalisme. Il n'est pas dit que le fait de mettre en avant aujourd'hui l'efficacité ou les « vertus » des codes de déontologie ne cache en réalité une volonté de mettre au pas les professionnels et le gens de métiers en les coupant de la normativité juridique générale et en évacuant de possibles remises en question proprement éthiques. Les meilleures intentions déontologiques peuvent produire des catastrophes morales. Cela s'est vu au cours de l'histoire récente. Il n'est peut-être pas mauvais de rappeler que la première élaboration de règles statuaires à l'ensemble des fonctionnaires fut celle du régime de Vichy par la loi du 14 septembre 1941. Il s'agissait d'être aux ordres du Maréchal. Cette loi fut certes abrogée en 1944, mais pour être aussitôt remplacée par les ordonnances du 19 octobre 1946. Quant à l'Ordre des médecins, il fut, lui aussi, instauré en ces temps contestables. Est-ce une si bonne référence ?, La Morale professionnelle de l'instituteur, Paris, Sudel, 1949. plus sociale que morale. Que faire lorsqu'elle invite à couvrir des crimes ? Les maîtres sontils respectables lorsqu'ils ont trahi ? Que vaut la parole donnée face à l'exigence de vérité ? Les parents ont droit au respect lorsqu'ils sont respectables certes, mais que faire lorsqu'ils ne le sont pas ? Tant qu'on ne passe pas de « quelques » à « tous », la conséquence morale n'est jamais véritablement évaluable

, On parle par exemple d'éthique professionnelle, de morale courante, de déontologie médicale sans toujours se soucier de savoir si ce qu'on dit relève de l'éthique, appartient à la morale ou se limite à la stricte déontologie. Il est vrai que, dans les trois cas, on se trouve dans le domaine du « devoir être », c'est-à-dire dans le domaine des principes, des règles et des valeurs qui président à l'action, non dans celui du simple constat de fait. Faut-il pour autant les confondre ? En s'efforçant d'en distinguer l'usage, on peut peut-être y voir plus clair dans les difficultés que pose l'établissement de toute éthique, dans les ambiguïtés de règles morale mais aussi dans les manoeuvres pas toujours claires qui se pratiquent au nom de la déontologie, Cette dernière est souvent invoquée pour justifier des mesures dont la valeur morale et la dimension éthique peuvent se voir remises en question