, Elle ne le forme pas à devenir l'outil de ses outils mais à devenir homme sans autre détermination, c'est-à-dire capable de toutes les fins qu'il voudra se donner. L'école ne répond donc pas à un besoin « social », pas même à celui de « socialiser les enfants », pour reprendre une expression obscure chère aux Pédagogues. Que veut-on dire par « socialiser l'enfant » ? Le rendre sociable ? Mais il l'est déjà, et c'est même sa sociabilité (celle qui le rapproche des enfants de son âge dans le jeu) qui appelle et permet l'institution scolaire. Ce que le sociologue ne parvient pas à comprendre, c'est que l'institution scolaire se règle avant toute chose sur une idée, celle de l'ordre humain qu'on veut instaurer, et qui est celui d'une république constituée de citoyens libres et égaux. Une république qui refuserait d'instruire les citoyens futurs minerait les principes sur lesquels elle repose car nul ne peut être dit libre s'il n'est instruit ; et si les hommes ne sont pas tous instruits (ce qui ne veut pas dire qu'ils seront également savants), l'égalité posée est aussitôt rompue, à la question « à quoi ça sert ? ». En institutionnalisant le temps du loisir studieux, l'école manifeste une conception de l'homme qui exclut sa réduction à l'utile, p.186, 1956.

, Or, si l'enfant appartient par destination à la république, il appartient aussi à l'humanité. La « fraternité » à laquelle il faut l'introduire n'est pas seulement celle qui unit les citoyens d'une même patrie. Il en existe une autre, celle d'une « communauté d'esprit » par laquelle les hommes se reconnaissent comme « frères de pensée » 25 . Ils la découvriront, par delà toutes les déterminations « naturelles » (familles, classes, races, nations) dans l'expérience du travail de la raison -par exemple, dans l'étude des sciences, comme le veut Condorcet. La fraternité des hommes ne tient pas à ce que les hommes se comprennent mais à ce qu'ils comprennent de la même manière, à ce qu'ils participent d'une commune raison. Il importe donc bien peu que l'enfant rencontre ou non, à l'école, un échantillonnage varié de l'humanité empirique (des enfants d'autres milieux, d'autres races...) ; l'important est qu'il s'ouvre à l'idée universelle de l'humain en transcendant sa particularité : « Alors, l'humanité sera dans son coeur, Enfin, il y a une dernière raison pour laquelle l'institution scolaire est fondée à retirer à la famille et à la société des échanges le soin de la formation des enfants. C'est que celles-ci n'ont pas le souci de l'universel, p.26

, Alain ne se contente pas de dénoncer la psychologie et la sociologie comme des sciences inutiles et incertaines. Il propose les éléments d'une psychologie et d'une sociologie philosophiquement fondées

, L'ensemble constitue une représentation claire de ce qu'est l'homme, et de ce que sont la pensée et ses oeuvres -telle est la condition sans laquelle ne peut être défini le cadre d'une instruction sensée, Les Arts et les dieux, Gallimard, « La Pléiade, 1958.

, Les Passions et la sagesse, Gallimard, « La Pléiade, 1960.

, Propos I, Gallimard, « La Pléiade » (1 re éd, pp.1908-1919, 1956.

, Propos II, Gallimard, « La Pléiade » (1 re éd, pp.1908-1919, 1970.

, Alain philosophe de la culture et théoricien de la démocratie, ALAIN, 1974.

. Collectif, En souvenir de Michel Alexandre, 1959.

. Collectif, « Hommage à Alain », Nouvelle Revue française, septembre, 1952.

A. Comte, Discours sur l'esprit positif, 1846.

A. Comte, Système de politique positive, pp.1851-1854, 1969.

;. Descartes-rené, . Oeuvres, . Gallimard, ». La-pléiade, and . Gustave, Bouvard et Pécuchet, in OEuvres II, Gallimard, « La Pléiade, 1952.

A. Institut, Alain lecteur des philosophes, de Platon à Marx, 1987.

A. Institut, Penser avec Alain, actes du colloque organisé au Vésinet en mai, 1994.

. Lévy-bruhl-lucien-;-alcan, P. Jacques-;-alain-Éducateur, and . Georges, Auguste Comte, un philosophe pour notre temps, Bordas. PIAGET Jean, 1922.

R. L. Sernin-andré-;-alain and . Spinoza-baruch-de, OEuvres complètes, Gallimard, « La Pléiade ». TAINE Hippolyte (1870), L'Intelligence, 1955.

, Cet article reprend sous une forme synthétique un chapitre d'un ouvrage à paraître sur Alain philosophe de l'instruction publique (éd. de L'Harmattan), 1986.

, Comte est d'ailleurs, comme on sait, l'inventeur du mot « sociologie » (Cours de philosophie positive

, Il évoque la « psychologie de l'enfant », avec des guillemets ironiques

, Alain aime à citer la formule de Descartes rappelant que si nos jugements ne sont ni si purs, ni si solides que nous pouvons l'espérer, c'est d'abord parce que « nous avons tous été enfants avant que d'être hommes » (Discours de la méthode, Descartes, p.133, 1953.

, Ce qui n'exclut pas que nombre d'entre eux disposent aussi d'une formation philosophique : Dumas, Piéron

A. Suit, , p.595

C. V. Lette and . Du, Michel Alexandre, l'un des plus fidèles disciples d'Alain, ne fut pas son élève. C'est l'auteur qui souligne, En souvenir de Michel Alexandre, p.386, 1942.

, Binet avait été nommé, par le ministre de l'Instruction publique, membre d'une commission chargée d'organiser l'enseignement des enfants anormaux. On se souviendra qu'il avait créé aussi, dès 1889, un laboratoire de pédagogie expérimentale. Son dernier ouvrage, publié en 1911, synthétise ses réflexions personnelles sur l'éducation, 1904.

, Nul doute qu'on y trouverait quelques lumières pour comprendre certaines tendances contemporaines, et notamment la médicalisation psychologique de toutes les difficultés de l'élève. L'enfance serait-elle devenue une maladie ? Et l'école un dispensaire où l'on soigne les âmes à défaut d

, Quelle que soit la qualité du service social rendu aux parents par cette institution, Alain a bien vu que sa justification proprement éducative est problématique. C'est le lieu, en tout cas, « Les jardins d'enfants » : c'est-à-dire, pour nous, l'école maternelle

, L'expression et la notion « d'associations des idées » trouvent leur origine dans Locke (Essai sur l'entendement humain, 1690.

L. Remarque and . De, On notera au passage qu'elle écorne la légende, colportée par Freud lui-même, selon laquelle la notion d'inconscient aurait rencontré les résistances les plus vives de la part des autorités académiques, 1921.

, Voir Les Passions de l'âme, op. cit., article 21, qui explique l'origine des « imaginations qui n'ont pour cause que le corps » et donne comme exemples les songes, les rêveries et la pensée errante

V. Descartes, . Méditations, and . Iv, « Il n'y a que la seule volonté que j'expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l'idée d'aucune autre plus grande et plus étendue : en sorte que c'est elle principalement qui me fait connaître que je porte l'image, pp.305-306, 1953.

. D'où-est-ce-donc-que-naissent-mes-erreurs-?-c'est-À-savoir-que, de cela seul que la volonté est beaucoup plus ample et plus étendue que l'entendement, je ne la contiens pas dans les mêmes limites, mais que je l'étends aussi aux choses que je n'entends pas ; auxquelles étant de soi indifférente, elle s'égare fort aisément, et choisit le mal pour le bien, ou le faux pour le vrai. Ce qui fait que je me trompe et je que je pèche. » 15. Voir Descartes, Discours de la méthode (deuxième partie, Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, p.138, 1953.

, Nous n'examinerons pas ici, faute de place, la psychologie de l'intérêt et sa discussion par Alain

, Voir Éthique, IV, Définition VIII et Propositions XXIV et XXV (Spinoza, 1955, pp.491-509

, Au plus près, mais sans la rejoindre pourtant, car ce sont des lois positives que Comte entend dégager. Sa démarche exclut l'analyse de l'essence de la connaissance

, Comte où la mentalité théologique se subdivise en fétichiste, polythéiste et monothéiste ; elle n'inclut pas le moment métaphysique. Remarque factuelle qui ne change rien à l'idée. 20. Voir aussi les premiers chapitres des Dieux. 21. Ici encore, Alain suit pas à pas la pensée de Comte. Voir par exemple, L'ordre des termes chez Alain ne correspond d'ailleurs pas exactement à celui des états de la connaissance chez, pp.71-72, 1995.

, La position très critique d'Alain à l'égard de la « petite sociologie » ne peut être complètement comprise qu'à partir de deux observations de caractère historique

. D'une-part and . De-durkheim, Université française -Durkheim a lui-même occupé une chaire de « pédagogie et science sociale » à Bordeaux avant d'être le suppléant de Buisson en « sciences de l'éducation » (déjà !), à la Sorbonne. D'autre part, en 1920, Paul Lapie, élève de Durkheim, l'un des premiers sociologues à s'intéresser à la question de l'école et de la mobilité sociale, avait été nommé directeur de l'enseignement primaire. Il avait profité de l'autorité administrative que lui conférait sa fonction pour introduire la sociologie dans le programme des écoles normales. Cette initiative avait déclenché

, Les premiers travaux français portant sur la sociologie de l'éducation, stricto sensu, semblent être ceux de Paul Lapie, évoqué à la note précédente. Nous ignorons si Alain en avait une connaissance directe

, Alain se réfère ici à Condorcet qu'il lit très librement, sans le trahir pourtant, car il est vrai que la république transcende tout cadre national par la définition qu'elle pose de l'homme et du corps politique. 26. On notera, bien sûr, l'inspiration comtienne de la formule, « Documents, p.352, 1986.